La structure informationnelle dans la grammaire et en contexte

Jean-Marie Marandin, Claire Beyssade, Elisabeth Delais, Annie Rialland

Mardi 11h15-13h15, salle 134

30 rue du Chateau des Rentiers. 75013 Paris.



Contexte, articulation fond-focus et thème de discours

 

Fait à décrire et analyser :

 

Anglais : l'accent nucléaire de phrase (focus prosodique) est réalisé sur le XP qui résout la question.[1]

 

(2) i A: Who did Paul introduce to Sue ?

B: a. Paul introduced BILL to Sue

b.# Paul introduced Bill to SUE

 

ii A: Who did Paul introduce Bill to ?

B: a. Paul introduced Bill to SUE

b. # Paul introduced BILL to Sue

 

iii A: What did Paul do at the party?

B: a. Paul introduced Bill to SUE

b. # Paul introduced BILL to Sue

 

Analogue en français : (Beyssade et al.) : Représentation neutralsiée du contraste : le symbole L indique une chute de F0, le symbole } une frontière de domaine : les constituants à droite de } sont réalisés avec une intonation d'appendice

 

(3) i. A: Qu'est-ce qu'il a montré au juge pendant sa garde ?

B: a. Il a montré son agenda L} au juge pendant sa garde L

b.# Il a montré son agenda au juge pendant sa garde L

 

ii. A: Quand a-t-il montré son agenda au juge ?

B: a. Il a montré son agenda au juge pendant sa garde L

b. # Il a montré son agenda L} au juge pendant sa garde L

 

iii A: Qu'est-ce qu'il a fait ?

B: a. Il a montré son agenda au juge pendant sa garde L

b. # Il a montré son agenda L} au juge pendant sa garde L

 

1. Introduction

 

Bref rappel historique :

 

(1a) [Paul 1880; dans la forme donnée par v. Heusinger, p. 29]

 

i. Wohin fährt Karl morgen? Où va Paul demain

Karl fährt morgent nach BERLIN

 

ii. Wann fährt Karl nach Berlin? Quand Paul va-t-il à Berlin

Karl fährt MORGEN nach Berlin

 

iii. Wie reist Karl nach Berlin? Comment Paul se rend-il à Berlin

Karl FÄHRT morgen nach Berlin

 

iv. Wer fährt morgen nach Berlin? Qui va à Berlin demain

KARL fährt morgen nach Berlin

 

Articulation (Gliederung) "sujet/prédicat psychologique".

 

(1b) (je traduis) Le prédicat psychologique est le plus important informationnellement et le but de l'énoncé (Paul, id. : 283).

 

Dans (1a), le prédicat psychologique peut être un constituant ou une partie du sens lexical d'un constituant (1iii) ; le complémentaire est le sujet psychologique

 

Articulation fond-focus

 

But global : approche dynamique de la structure informationnelle.

 

Plan du cours

- la donnée de base dans le couple question/réponse (cf. (2) et (3) ci-dessus)

- l'analyse de Jackendoff (1972, chap. 6)

- l'indétermination de l'analyse de Jackendoff : common gr(ound ou discourse topic ?

- analyse « discursive » du fond ; analyse « illocutoire » du focus.

2. L'articulation fond-focus

 

2.1. Analyse de Jackendoff

 

-" one aspect of the semantic representation of a sentence is a division of the reading into presupposition and focus" (: 230 ; je souligne ).

 

- le focus (= contenu focal) est donné par le constituant qui porte l'accent saillant ( = focus exponent ; constituant focal) ;

- la présupposition (= contenu non-focal) est donnée par la phrase moins le constituant focal.

 

Plus exactement, on obtient la présupposition, en substituant une variable "appropriée" au constituant focal.

 

(4) a. (= 2b) I introduced Bill to SUE

b. SR: Introduce (I, Bill , Sue)

c. Focus : Sue

d. Présup(position) : Paul introduces Bill to x

λx Introduce (Paul, Bill, x)

 

Jackendoff associe la partition à une "méta-présupposition" qu'il formule de la façon suivante (= (6.76) in Jackendoff):

 

(5) a.λx Pressup(x) is a coherent set in the present discourse

b. is well-defined in the present discourse

c. is amenable to discussion

d. is under discussion

 

Le contenu de l'acte illocutoire (d'assertion) est analysée de la manière suivante : le focus est un élément de l'ensemble présuppositionnel (défini en (5)) : [= (6.77) in J.]

 

(6) Focus ∈ λx Pressup(x)

 

"For other sentence types, such as questions and imperatives, the assertion will obviously take a different form" (ibid. : 246).

 

Prenons pour exemple l'assertion en réponse en (7) :

 

(7) A: A qui Paul a-t-il présenté Bill ?

B: Il l'a présenté à Sue

 

L'analyse est la suivante:

 

(8) a. Focus : Sue

b. Pressup: λx Présenter (Paul, Bill, x)

c. Ensemble présuppositionnel : l'ensemble des x à qui Paul a présenté Bill

c. Assertion : Marie ∈ λx Venir(x) : Marie est un des x à qui Paul a présenté Bill

 

"Because of the way the assertion is defined, its truth conditions will be the same as the original representation SR, with the exception that the presupposition [ici = (10) ] must be true before the assertion is meaningful" (ibid. : 246).

 

2.2. Postérité de l'analyse de Jackendoff

 

a) partition du contenu

b) il y a une et une seule articulation Présupposition/focus par énoncé ( des dernières versions de ce qu'on appelle l'école de Prague qui postule un continuum "+ /- informatif (= nouveau) " et non une articulation).

c) on retrouve la même analyse sous divers noms :

 

(9) Thème/rhème (Steedman)

Background/Focus (Structured Meaning : Jacobs, Krifka, ..)

Ground /Focus (Beyssade et al.)

 

e) L'idée d'une articulation du contenu n'est pas reprise par Rooth (qui « fait cavalier seul » dans la littérature), mais il pousse à fond l'idée d'alternatives (l'ensemble présuppositionnel de J.).


3. Analyse de Pressup/background/thème/fond

NB: je parlerai à partir de maintenant de fond.

Jackendoff rend compte de l'appropriation (felicity) de la partition fond-focus de deux manières différentes :

 

- à l'aide de « la méta-présupposition » : (répété)

 

(10) a. λx Pressup(x) is a coherent set in the present discourse

b. is well-defined in the present discourse

c. is amenable to discussion

d. is under discussion

 

- rapprochement avec les maximes de Grice : (a) et (b) sont des maximes de manière et/ou de qualité ( ? l'objet dont on parle est cohérent ..) ; (c) et (d) relèvent de maximes de pertinence (à-propos).

- à l'aide d'une généralisation : un discours est bien formé, ou naturel [en fait un couple question/réponse], quand les phrases qui se suivent (successive sentences) « share presupposition, that is, if the two speakers implicitly agree on what information they have in common » (page).

 

Illustration :

 

(11) ii A: Who did John introduce Bill to ?

B: a. John introduced Bill to SUE

b. # John introduced BILL to Sue

 

Si on admet d'analyser la question comme une proposition ouverte (12) :

 

(12) Q : λx. Introduce, John, Bill, x

 

On observe que la réponse appropriée présente une Présup identique à la question à laquelle elle répond :

 

(13) R a. Presup de (a)  : λx. Introduce, John, Bill, x

b. Presup de (b)  : λx. Introduce, John, Sue, x

 

De manière générale, on doit choisir entre deux principes d'explication qui ne sont pas du tout équivalents :

 

(14) a. Presup relève du Common Ground

b. Presup relève du Thème de discours

 

3.1. Argument de Jacobs[2].

 

Jacobs propose que l'appropriation de la partition soit liée à une condition d'ordre discursive :[3]

 

(15) Si un énoncé us présente une partition <λx [Φ(x)], F>, alors us est approprié seulement si λx [Φ(x)] est déjà en discussion dans une portion pertinente de discours/dialogue précédant us.

« The relevant stretch of discourse may include earlier utterances in addition to the one immediately preceding us, providing that they are thematically related to us and remain in the working memory of the interlocutors ».

 

Et pour soutenir son approche, il l'oppose à une hypothèse qui est légèrement différente de celle de Jackendoff, mais qui est de type « common ground », qu'il attribue à Geurts & v der Sandt (la référence doit être Guerts solo 1999 ..) :

 

(17) The Background-Presupposition Rule (BPR) :

Whenever focusing gives rise to a background λx [Φ(x)], there is a presupposition to the effect that λx [Φ(x)] holds for some individual.

 

Autrement dit : ∃x [Φ(x)] fait partie du common ground (au sens de Stalnacker), ou bien (en un sens plus flou) fait partie du « common ground of assumptions that the interlocutors share between them »

 

Argumentation:

 

(18) [prononcé « out of the blue » entre A et B dans un aparté au cours d'une partie..]

[Peter]F hat Gerda eingeladen

Peter a invité Gerda

 

- (18) est inapropriée dans un contexte où le Loc ou Loc + Interloc présuppose $x [Φ(x)] (par exemple, s'ils savent que Peter et Marie sont les propriétaires et les seuls à avoir fait les invitations).

 

- ok en réponse à (19) qui ne présuppose pas ∃x [Φ(x)] [4]

 

(19) Hat irgendjemand Gerda eingeladen ?

est-ce que qqn a invité gerda ?

 

Autrement dit, (18) n'est ok que si dans l'environnement immédiat on a la question qui a invité Gerda ? ou bien un énoncé comme John a invité Gerda ...

 

- On peut aussi penser à l'argument de Jackendoff. Mais il n'est valable que dans les langues où l'accent contrastif, qui est utilisé dans les énoncés de réfutation (counterassertive), et l'accent indiquant la partition sont identique. Ce qui a l'air le cas en allemand et anglais.

 

(20) Who came to the party ?

a.       MAry came

b.      noBOdy came

 

3.2. Prolongation

Il y a une conséquence : les énoncés qui ne donnent pas lieu à une partition FF. On les représente généralement avec un fond « vide », la fonction identité.

 

(21)< λP P, e (Venir (e,Marie))>

 

Ce sont des énoncés dont on dit qu'ils ne posent pas de contrainte discursive/thématique sur leur contexte d'occurrrence. Donc, ils peuvent être employé « out of blue », ie sans discussion préalable. Ce qu'on observe.

 

Par ailleurs, on peut bien les employer sans problème dans des contextes où on présuppose que quelque chose s'est passé, par exemple dns lse questions de continuation :

(22) Et alors ?

Marie est arrivée = phrase all focus

 

3.3. Différence avec les clivées

 

Rappel : lien (traditionnellment établi) entre partition informationnelle et clivées.

 

Observation : les clivées ne sont pas nécessairement associées à une partition informationnelle fond-focus.

 

(23a) a.C'est avec plaisir que je vous reçois

  1. C'est par un beau matin d'automne que Paul est arrivé à Paris.

 

(23b) a. It is with deep regret that we pay this last tribute

b. It was during these centuries that a vast internal migration from the south northwards took place (donnée cité dans Krifka, ibid.)

 

Les clivées all focus ont des propriétés particulières, elle ne sont pas bonnes en réponse congruente .. (comme les phrases à inverion inaccusative ..)

 

(24) Que s'est-il passé ensuite ?

a.       Vers la fin de la journée, Pierre est reparti

b.      # C'est vers la fin de la journée que Pierre est reparti

 

La clivée est associée à une présupposition d'exhaustivité et une présupposition d'existence :

 

(25) i A : Who saw John ?

B : noBOdy saw John

 

ii A.: Who saw John ?

B.: # It was NOBODY that saw John

 

This pressuposition survives negation and modal operators, as ppositions typically do (Halvorsen 1978).:

 

(26) a. It wasn't John that Mary kissed still entails : Mary kissed someone.

b. Idem avec Perhaps it wasn't John that Mary kissed

 

Analyse de Krifka (ibid.) en sémantique partitionnée : partition du contenu en deux schemes α et ιx [... x ...] ; le sens de la proposition étant une proposition équative :

 

(27)α = ιx [... x ...]

 

4. Conclusion

 

L'articulation FF réclame une analyse du contexte plus sophistiquée que la seule position du Common Ground (même dans sa version raffinée à la Stalnacker, cf. cours. Il faut introduire une modélisation de « the relevant stretch of discourse (...) preceding us, (..) thematically related to us and remain[ing] in the working memory of the interlocutors ». C'est précisément ce à quoi sert la notion de QUD : question(s) en discussion et l'idée que QUD est une modélisation du thème de discours.

 

Références

Doetjes J. et al ; , 2004, Cleft sentences, [F Corblin & H ; de Swart, eds] Handbook of French Semantics, Stanford : CSLI.

Beyssade C. et al., sub., Ground-Focus articulation in the Grammar, page web Marandin @ llf.cnrs.fr.

Dryer Matthew, 1996, Focus, pragmatic presupposition, and activated propositions, Journal of pragmatics 26, 475-523.

Jackendoff R., 1972, Semantic interpretation in Generative Grammar, MIT Press.

Jacobs Joachim, ?, Focus, presuppositions and discourse restrictions, page web de Jacobs.

von Heusinger, Klaus, 1999, Intonation and information structure, page web de v. Heusinger.

Hermann Paul, 1880, Prinzipien der Sprachgeschichte. Republié en 1937.

Krifka Manfred, 2001/2 [non publié], Topik und Fokus, chap 5, §5.2 [Clefting], page web de Krifka.

Vallduví Enric & Engdahl Elisabet. 1995. "Information packaging and grammar architecture" in Beckman J. (ed) Proceedings of the North East Linguistic Society : 519-533, U. of Pennsylvania.

Weil Henri. 1879. De l'ordre des mots dans les langues anciennes comparées aux langues modernes. Republié en 1991, Paris : Didier Erudition.



[1] Terminologie en anglais : "The location of prominence in an utterance is generally referred to as the pitch accent, the sentence accent or the nuclear tone of the intonational unit (v. Heusinger: 27).

[2] En fait, Jacobs retrouve les arguments d'un article de Matthew Dryer, 1996, Focus, pragmatic presupposition, and activated propositions, Journal of pragmatics.

[3] (16) La formulation de Jacobs : The Background-Discourse Rule (BDR)

If an utterance us of a sentence S has a free FBS that gives rise to a background λx [f(x)], than us is felicitous only if λx [Φ(x)] has already been under discussion in the relevant stretch of discourse preceding us.

Jacobs appelle « free FBS » une partition qui n'est pas associée à un élément dit sensible au focus (seulement, même, ..) ; cela correspond à la partition marquée dans la prosodie comme en (2) et (3) ci-dessus. Il appelle « bound FBS » une partition liée à un élément dit sensible au focus ; son marquage prosodique reste un problème non résolu.

[4] Dryer consturit le même type d'observation en anglais. Dans la question de (i), the expression if anyone cancels the pposition :

(i) A.: Who if anyone saw john ?

B.: MARY sawJohn

 

(ii) A.: Did either Mary or Sally sse john ?

B.: MARY sawJohn