La structure informationnelle dans la grammaire et en contexte

Jean-Marie Marandin, Claire Beyssade, Elisabeth Delais, Annie Rialland

Mardi 11h15-13h15, salle 134

30 rue du Chateau des Rentiers. 75013 Paris.


Marandin, 22 février, crs 3

"The language of face-to-face conversation is the basic and primary use of language" (Fillmore, cité dans Clark, 1976 : 8).

“Quand au concept de locuteur avec lequel nous opérons, il se laisse résumer ainsi : tout locuteur est, en même temps et comme tel, un auditeur virtuel de l’autre (et actuel de lui-même) ; tout interlocuteur est, en même temps et comme tel, un locuteur virtuel de ce qu’il dira ensuite, et de ce qu’il a dit à l’instant. Une telle conception met au centre des faits linguistiques la dualité de la locution sur toute autre fonction de langage. Malgré l’apparence, elle n’a rien de nécessaire a priori et la plupart des théories ne raisonnent pas en ces termes » (Milner J. & Milner, JC.,1975, Interrogations, reprise, dialogue, p. 142, [Kristeva J. et al., éds.] Langue, discours, société ; je souligne).

Introduction à la sémantique du dialogue (Dialogue Semantics) de J. Ginzburg

1. Introduction

But du cours: Introduire les grandes lignes de la modélisation de Ginzburg, qui va être au cœur de l'atelier du 9-10 mars.

Grandes lignes :

- la notion de contexte pertinente (pour la description grammaticale) est celle de « état informationnel » du locuteur, i.e. la représentation que le locuteur se fait des aspects pertinents du contexte pour le discours à produire ;

- les aspects pertinents sont ceux du dialogue.

2. De Stalnacker à Ginzburg

2.1. Rappel (cours 1)

(1) « Discourse is a dynamic interactive process in which speech acts affect the situations in which they take place, and in which the situation affects the way the speech acts are understood » (Stalnaker 1998).

(2) «The essential effect of an assertion is to change the presuppositions of the participants in the conversation by adding the content of what is asserted to what is presupposed. This effect is avoided only if the assertion is rejected» (Stalnacker).

Précisions:

- Présupposition d'un DP :

(3) « The third notion I need is the concept of speaker presupposition. This, I want to suggest, is the central concept needed to characterize speech contexts. […] A proposition is presupposed if the speaker is disposed to act as if he assumes or believes that the proposition is true, and as if he assumes or believes that his audience assumes or believes that it is true as well. Presuppositions are what is taken by the speaker to be the common ground of the participants in the conversation, what is treated as their common knowledge or mutual knowledge. » (souligné dans le texte)

Présupposition =/= des croyances du locuteur.

(4) « The propositions presupposed in the intended sense need not really be common or mutual knowledge ; the speaker need not even believe them. He may presuppose any proposition that he finds it convenient to assume for the purpose of the conversation, provided he is prepared to assume that his audience will assume it along with him ».

Deux points importants:

A) S. insiste sur le fait que l'assertion ne doit pas être rejetée par l''interlocuteur

(5) To make an assertion is to reduce the context set in a particular way provided that there is no objections from the other participants in the conversation (Stalnacker, 1998 ; je souligne).

RQ1: "The proposed essential effect makes reference to another speech act, the rejection of an assertion, which presumably cannot be explained independently of assertion". Il faut aussi ajouter l'acceptation …

RQ2: on ne peut donc pas définir l'assertion sans mettre en jeu un acte du locuteur et un acte de l'interlocuteur : c'est un processus interactif. D'où la nécessité de modéliser le dialogue.

RQ3: on peut se demander si tous les actes de parole sont des actes coopératifs. Par exemple, l'exclamation …

(6) a. Exclamation: Quelle est belle ! Quel idiot

b. Evaluation parenthétique : Hélas, il est parti à Paris.

B) S. ne néglige pas le simple fait de produire l'énoncé :

(7) « It is simply an obvious fact that an assertion changes the context, not only by adding the information that is the content of the speech act, but also by manifesting the fact that the event itself takes place ».

2.2. Lien avec la modélisation de Ginzburg

A) L'idée que la notion pertinente pour la description grammaticale est celle "information state du locuteur" est dans la lignée de l'analyse de Stalnacker : « Discourse contexts can be represented by the set of situations compatible with the information that is presumed, by the speaker, to be common ground, or information that is shared and recognized to be shared by all the relevant participants. This is a representation from the point of view of one of the participants in the context of what is common at all. » (Stalnacker, 1998 ; je souligne).

B) L'idée que l'assertion vient s'ajouter au Common ground est essentiellement reprise par Stalnacker.

C) Contrairement à ce que dit Ginzburg, Stalnacker n'a pas ignoré le rôle de l'interlocuteur

(8) "Both the view of context incrementation deriving from Stalnacker and the discourse-structure tree-based view face certain problems. The crux of the matter is that when a new assertoric contribution is encountered, it cannot, as it is the case in the various standard approaches to discourse semantics, be attached simpliciter or added to FACTS [= Common Ground ; JMM]. [...] A cannot update FACTS [= Common Ground ; JMM] before receiving acceptance from B" (Ginzburg, en prép., chap 4 : 10; je souligne).

De manière générale, la différence entre Stalnacker et Ginzburg est que Stalnacker met l'accent sur la coorpération entre interlocuteurs, alors que Ginzburg maximise le fait que locuteur et interlocuteur joue des rôles distincts. 1

(9) The "fundamental Speaker / Addressee contextual asymetry", i.e. the very fact that conversation participants do not share the same context at all time.

Et qu'ils ne sont pas positionnés de la même manière face à un événement énonciatif:

(10) Le loc. comprend son énoncé ; l’interloc., quand il reçoit un énoncé, doit se livrer à un certain nombre d'opérations préalables : grounding, compréhension, acceptation.

Doc.: « When B forms the belief that A has made an utterance u whose conventional meaning is µ, the first issue she is obliged to contend with, obliged by the virtue of participating in the conversation, is ‘what did A intend to convey with u whose meaning is µ ? Concretly, I take this to involve into QUD two questions : the (conventional) content question [content (u, µ) ?] and the goals question [goals (u,A) ?] [...] ’what values do the contextual parameters of µ get in u ? and ‘what goals did A have in making u ‘. It is only if B believes that she knows the answers to both content (u,µ) ? and goals(u,A) ? that she can proceed to update her DGB, downdating both these questions from QUD and acting in accordance with the illocutionary act that has taklen place ; otherwise a clarification stage must ensue » (in On some consequences of Turn Taking).

3. La modélisation de Ginzburg

Forme générale de la grammaire (simplifiée) :

(1)

Dimensions dans la description de SYNSEM : (grammaire HPSG "habituelle")

(2)

Dimension dans la description de INFO-STATE :

(3) ou

Dimensions dans Public:

1 "The interactional emphasis (on what the recipient(s) of an illocutionary act musts think or do) has been neglected in later work in speech act theory "(Levinson, Pragmatics: 237).

(4)

4. Sémantique des actes illocutoires selon Ginzburg

4.1 Asserter

(5) Asserter p, c’est (pour le locuteur) ajouter est-ce que p ? dans QUD

(6) « I assume that, in general, both asserter and her addressee do have the issue p? in QUD as a consequence of an assertion p ; when an assertion p is made, the asserter is committed to a belief p, but has no guarantee that p will be accepted by her interlocutor … » (in On some consequences of Turn Taking ; je souligne).

4.2. Questionner

(7) Poser la question q, c’est (pour le locuteur) ajouter q ? dans QUD

"Les questions tout comme les assertions ont pour effet de placer dans le QUD du locuteur une question, qui devient la question maximale : dans le cas d'une interrogation sur q, la question posée au haut de la pile est q, dans le cas où p est assertée, la question placée au haut de la pile est la question polaire p? " (Ginzburg, 2002: 47)

4.3. Ordonner (selon Portner) n'est pas dans Ginzburg, mais dans l'esprit de Ginzburg.

(8) Donner l'ordre q, c'est (pour le locuteur) ajouter q! dans la To-Do-List de l'interlcouteur.

NB: je laisse pour le moment de côté la définition formelle de ce qu'est une proposition, une question et un ordre.

----- 4.4. Illustration (repris à Marandin 2004) (je ne renumérote pas)

Prenons le dialogue (44) en début absolu de conversation :

(44) A : [1] Qu'a fait Paul ?

B : [2] Il a fait du ski.

A : [3] Ah bon.

Une question incrémente QED. C'est le cas de la question de A au tour [1]. Le tableau de A peut être décrit de la manière suivante :

(45)

[1] A : PUB | FP-in :

QED-in :

TP :

pose la question q0 (Qu'a fait Paul ?)

PUB | QED-out : q0

Au tour [2], B manifeste qu'il a compris la question et accepté d'y répondre en donnant une réponse : la réponse de B incrémente également QED sous forme d'une question polaire (Il a fait du ski ?, notée ?p0). Je reviens plus bas sur la relation notée "<" dans QED :

(46)

[2] B : PUB | FP-in :

QED-in : q0

TP: A pose la question q0

asserte p0 (il a fait du ski)

PUB | QED-out : q0 < ?p0

Au tour [3], A manifeste qu'il a compris la réponse et qu'il l'accepte : il incrémente son FP et si la réponse satisfait le but interactif du locuteur, l'activité en cours peut se clore par vidage de QED :

(47)

[3] A : PUB | FP-in :

QED-in : q0 < ?p0

TP: B asserte p0

accepte p0 (ah bon)

PUB | FP-out : {"Pierre a fait du ski"}

QED-out :

5. Critique et discussion

5.1. Adéquation empirique

Assimiler assertion et question polaire est un lieu de la littérature pragmatique:

cf. "Since agreeement or acceptance seems to be close to a yes/no response to a yes/no question, the adjacency pairs ought perhaps to be regarded as constituting merely variants of a single type" (Good (1979) citée par Kerbrat-O, La question, p. 110).

Quatre critiques :

- (a) pas de différence entre assertion et demande de confirmation,

- (b) distorsion entre le contenu de Latest Move et QUD

- (c) La question est-ce que p ? doit être une question rhétorique dans l’usage prototypique de l’assertion

- (d) Acceptation d’une assertion différente de la réponse à une Q-polaire.

(9) A : Est-ce que Marie est arrivée ?

B : # Ah bon, j’savais pas, hélas, ... / oui, non

A’ : Marie est arrivée.

B : Ah bon, j’savais pas, hélas, ... /oui , # non (ok : nooon)

Exemple de question rhétorique (au sens figé ici) :

(10) A. Est-ce qu'il ne faudrait pas que les entreprises françaises s'implantent mieux à l'étranger ?

B.: Vous avez raison. (Kerbrat-Orecchioni, : 5)

A.: Si toutes les organisations syndicales se concertaient est-ce que ça irait pas mieux?

B.: C'est vous qui le dites !

A.: Mais je pose la question ! . (Kerbrat-Orecchioni, : 103)

5.2. Une analyse alternative dans le cadre de Ginzburg

5.2.1. Problème à résoudre

(11) Ce que l’assertion change pour le locuteur vs ce que l’assertion change pour l’interlocuteur.

Cf.: (a) the asserter is committed to a belief p, (b) but has no guarantee that p will be accepted by her interlocutor.

RQ1 : cela fait penser à la distinction par les pragmaticiens classiques en termes d’attitudes. Cf. : analyse de la question par Ducrot en (i) « l’expression d’une ignorance » et (ii) « mettre l’autre dans l’obligation de répondre ». Parallèlement, l’analyse classique de l’assertion revient à conjoindre (i) « l’expression de la croyance que p » et (ii) « l’injonction à l’autre de croire que p ».

(12) Impact de l’acte illocutoire : (a) update (mise à jour) par le locuteur de son tableau (effet d’engagement = commitment) ; (b) uptake (la réception) par l’interlocuteur du contenu de l’acte.

(13) a. Update : assertion vs question vs ordre

b. Uptake : assertant vs questionnant vs ordonnant

5.2.2 Une analyse

NB : analyse proposée par Beyssade pour traiter de la différence entre assertion et demande de confirmation.

(14) Phrase déclarative :

a. Marie est arrivée
b. Marie est arrivée (prototypiquement avec un contour montant)

On garde (4) ci dessus en changeant la défintion de Facts :.

(15) Faits partagés (SG) : l’ensemble des propositions que le locuteur voit comme étant celles pour lesquelles les interlocuteurs se sont engagés (joint commitment set).

(15’)

Asserter vs questionner :

(16) a. By making a statement, the speaker makes public that she increments SG with a proposition p, i.e. she adds p in her set of commitments at this point of the dialogue.

b. By making a question, the speaker makes public that she increments QUD with a question q.

Par ex., au tour [1] en (17) , A ajoute la proposition p0 que Marie est arrivée dans SG

(17) [1] A: Marie est arrivée. .

[2] B: Tu lui as parlé ?

Au tour [1] en (18), A ajoute la question qui a été invité ? dans QUD.

(18) [1] A: Qui a été invité ?

[2] B: Marie

Assertant vs questionnant:

(19) a. Un énoncé est assertant quand le locuteur incrémente SG avec une proposition dérivée de son énoncé.

b. Un énoncé est questionant quand le locuteur incrémente QUD avec une question dérivée de son énoncé.

I.e. : on capte l’effet questionnant/assertant par un double update.

Par exemple: Une phrase déclarative est questionnante quand le loc. opère un double update. Par ex., au [1] en (30), A ajoute la proposition que Marie est arrivée dans SG et est-ce que Marie est arrivée dans QUD.

(20) [1] A: Marie est arrivé ?

[2] B: non

DGB de A après l’énonciation de [1]:

(20’)

Une phrase interrogative est questionnante quand le locuteur n’opère qu’un seul update correspondant à la question dénotée par l’énoncé (Elle est assertante quand le loc. opère un double update. Par ex., au [1] en (7), A ajoute la question Est-ce que Chirac ne devrait pas démissionner ? dans QUD et la proposition Chirac devrait démissionner dans SG.

(21) [1] A : Est-ce que Chirac ne devrait pas démissionner ?

[2] B : C’est mon avis !

(21’)

5.2.3. Généralisation

On pourrait généraliser l'organisation du registre public en distinguant (a) les actes qui requiert un uptake par le destinataire et (b) les actes qui ne demandent pas de uptake (et qui sont de simples monstrations de l'attitude du locuteur :

(22)

[Commitment [ SG] ]

| [QUD] |

| [To-Do-List] |

|Attitude montrée |

[Tour précédent ]

6. Conclusion

- lien avec l'analyse du statut du fond dans QUD (cf. cours 2),

- notre hypothèse sur le sens des contours intonatifs : attitude montrée (cf. cours à venir).

Références

Clark H., 1996, Using language, Cambridge UP.

Ginzburg J. Dialogue Semantics, chapitres disponibles sur lapage WEB de Ginzburg ou dans la boite à la bibliothèque.

Kerbrat-Orecchioni, La Question,

Levinson Stephen,1983, Pragmatics, Cambridge UP.

Marandin Jean-Marie, 2004, Dialogue et formattage de l’information, [F. Corblin & C. Gardent], Interpréter en contexte, Paris : Hermes.

Portner, Paul, The Semantics of Imperatives within a Theory of Clause Types (disponible sur la page web de Portner).